Lorsque le jeune homme ouvrit les yeux, il était seul dans son lit. Il contempla un moment l'oreiller vide à côté de lui avant de rouler sur le dos pour regarder le plafond, éclairé par la faible lueur qui filtrait à travers les persiennes. Il soupira alors que le réveil se mettait en route. Encore une fois, il se réveillait avant l'heure. Et encore une fois, Lou avait déguerpi avant qu'il n'ouvre les yeux. En réalité, il ne savait pas vraiment s'il pouvait se considérer comme ensemble. Il ne le pensait pas. En tout cas pas vraiment. Amant sans aucun doute mais plus que cela ? C'était impossible. En tout cas, pas pour lui, pas dans ces conditions là. Cependant, il aimait bien la petite rouquine. Ils s'entendaient bien, avaient les même préférences au lit, les même centre d'intérêt dans la vie. Elle faisait une bonne partenaire, même s'il aurait voulu un peu plus d'affection... Il avait la sale impression d'être un jouet dans ces moments là... Où il se réveillait seul. Et il n'aimait pas cela. Pas du tout.
En attendant, il avait pas mal de boulot ce matin là. La campagne de vermifuges et vaccins avait commencé et il fallait faire passer tous les chevaux du Haras. Il laissait aux propriétaires le soin de prendre rendez-vous et de vermifuger eux-même. Mais les chevaux des stalles et certains éleveurs prenaient des rendez-vous de groupe, comme ce qu'il allait faire aujourd'hui. Il avait deux élevages à vacciner en plus de son boulot habituel. Autant dire qu'il n'allait pas chômer ce matin là. Il soupira une nouvelle fois, éteignit le réveil et se leva. Il était temps de s'y mettre !
*** *** *** ***
Comme chaque matin depuis qu'il était au Haras, le jeune homme passait rapidement dans la cuisine pour attraper des carottes et un gobelet de café, avant de filer au centre de soin. De là, il aidait à faire le planning du jour des apprentis vétérinaires et il faisait le tour de ses e-mails et messages, ainsi que des pensionnaires du centre de soin. Ils étaient peu nombreux en ce moment. Il distribuait ses morceaux de carottes et retournait à son poste, dans le bureau des vétérinaires. En voyant un dossier posé en évidence sur son clavier, il soupira encore. Qu'est-ce que c'était que cela ? Il se laissa tomber dans son fauteuil et regarda le dossier. Un cheval. Un post-it lui indiquait qu'il devait s'en occupé, que c'était sa première mission au Haras et lui souhaitait bonne chance... Une mission ? Il savait que certains élèves se voyaient confié des chevaux... D'ailleurs un de ses collègues en avait un à sa charge, mais il ne pensait pas y passé à son tour... Pas tout de suite en tout cas. Peut-être que son supérieur estimait qu'il était maintenant apte à prendre en charge un équidé à temps plein...
Il prit une inspiration et se plongea dans le dossier. Les photos de l'équidé n'étaient pas terrible à voir. Il était maigre et sale. Suivait son suivi vétérinaire, très maigre. A vrai dire, il n'y avait qu'une note. Il avait été vacciné et vermifugé en arrivant au Haras et depuis, il vivait au pré H24. Il n'était pas débourré, compliqué à approché et aucun régime alimentaire n'avait été établi. Pour l'instant il était nourri au foin en quantité limité et il avait accès à un complément minéral. Mais c'était loin d'être suffisant. En dernière page du dossier, après les commentaires de l'association qui l'avait recueillit, il y avait la liste des tâches qu'il avait à accomplir. Visite et suivi vétérinaire, régime alimentaire, suivi de l'état, soins divers, début du débourrage... Au fil de sa lecture, le jeune homme souffla fortement. Il y avait énormément de travail sur ce cheval et il n'y arriverait pas en quelques jours... Encore moins en quelques semaines d'ailleurs... C'était un travail se comptant en mois pour le coup... Il laissa le dossier sur son bureau et jeta un oeil à sa montre : il était tant d'aller chercher les vaccins et de se diriger vers l'élevage...
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Il avait sorti les vaccins et les carnets de chaque cheval et avait soigneusement rangé le tout, avec une boite de gants, le seau à aiguilles et son stéthoscope, dans un sac en toile qu'il avait l'habitude de trimbaler sur toutes ses interventions. Il se dirigea donc ensuite vers l'élevage de Louna Reg, le premier de la liste. Lou lui avait dit que la jeune femme n'était pas là et que l'équipe était réduite. Elle lui avait raconter d'ailleurs pas mal de choses et il avait l'impression de tous les connaître sans les avoir vu. Mais il devait bien l'avouer, il avait un peu le trac. A vrai dire, il ne savait pas trop si Lou avait parlé de lui aux autres. Il ne savait pas du tout à quoi s'attendre. Il avait longuement entendu parlé d'eux, mais il avait l'impression d'être un agneau jeté au milieu d'une meute de loup sans rien pour se défendre... Et ce n'était pas une chose très agréable. Mais il était un professionnel. Il n'allait pas là bas pour les cavaliers mais pour les chevaux.
Il prit donc une grande inspiration et entra dans l'allée calme de l'élevage. Et à son plus grand étonnement, il n'y avait personne. Enfin, à première vue en tout cas. Il regarda à l'intérieur des box, donnant une caresse de temps à autre. Mais il n'y avait bel et bien personne. Par contre, tous les chevaux étaient là, sauf Nara, dont le box était vide et propre. Mais pour elle, c'était normal. Elle était au centre de soin avec son poulain tout nouveau né. Il lui avait même donné une carotte en faisant son tour des pensionnaires.
« Il y a quelqu'un ? »
Pendant un instant il ne se passa rien, mais soudain, une tête apparu d'un box tout au fond, qu'il n'avait pas été voir. Un homme, blond, sorti en lui souriant. Il tendit la main vers lui et Siobhan la serra, souriant également.
« Pardon, je ne t'avais pas entendu arriver. Ale. Je suis le coach de l'élevage, je m'en occupe en l'absence de Louna. » « Euh... Ok. Enchanté ! Moi c'est Siobhan, le vétérinaire. » « Je m'en suis douté. Tu veux qu'on commence ? Les autres ne devraient pas tarder pour aider à sortir les chevaux dans l'allée. » « Il n'y a pas besoin de les sortir. Juste leur passer un licol et les tenir dans le box se sera suffisant. A deux on va s'en sortir. » « Ok super ! Par qui tu veux commencer ? » « Euhm... Sweet Billabong ? »
Ale sourit et acquiesça, partant directement vers un box au début de l'allée. Une plaque indiquait "Bill" sur la porte d'un étalon bai relativement calme. Le jeune homme ouvrit la porte, poussa un peu l'étalon et lui enfila un licol. Pendant ce temps là Siobhan installa son matériel. Il posa son sac sur un tabouret et sorti le carnet du cheval. Il prit la dose correspondante, enfila une paire de gant, mit son stéthoscope autour du cou et entra dans le box. Avant de piquer, il ausculta le cheval, écoutant sa respiration et son transit et effectuant quelques palpations, regardant aussi ses dents.
« Pas de problème particulier avec lui ? » « Non aucun. »
Siobhan eu un bref hochement de tête, nettoya la zone qu'il allait piquer avec une compresse de désinfectant et injecta le produit avant de sortir du box.
« Parfait. On passe à Caraanu Pi ? » « Ok. »
Ale sorti du box et referma la porte avant d'aller au suivant. Pendant ce temps, le vétérinaire reporta la date et l'étiquette du vaccin sur le carnet du cheval, jeta l'aiguille de sa seringue dans le seau, enfila une nouvelle paire de gants, prit la nouvelle dose et refit la même chose avec Caraanu Pi. L'étalon crème resta sage bien qu'il eu un regard méfiant envers le véto. Il en avait l'habitude. Les vétérinaires n'étaient pas les personnages préféré des animaux, loin de là. En attendant, ils étaient passé au troisième cheval de la liste, Priam, quand Lou et un autre homme, un grand métis, entrèrent dans l'allée.
« Salut ! » « Salut. »
Siobhan sourit et fit un signe de tête à Ezra qui le lui rendit mais resta concentré sur son injection. Priam était plus remuant que les autres et ils avaient un peu plus de mal à le contenir. Finalement, Ale réussi à le coincer contre un mur et à faire son injection tranquillement. Une fois débarrassé de ses gants, il tendit une main chaleureuse au métis.
« Siobhan, enchanté. » « De même ! Moi c'est Ezra. » « C'est qui le suivant ? » « Invictus. » « Je vais vous aidez pour lui, on ne sera pas trop de deux pour le tenir. »
Siobhan acquiesça et les laissa faire, préparant la prochaine dose. Lou se rapprocha, tout en gardant une certaine distance.
« Ça va ? » « Très bien et toi ? »
Elle hocha de la tête. Elle avait l'air tout de même tendue. Lui avait eu le temps de se détendre en vaccinant les premières têtes de l'élevage. Il lui sourit, surtout pour la rassurer, et entra dans le box d'un grand bai remuant. Cette fois, la vaccination ne se fit pas sans quelques difficultés. Le vétérinaire du s'y reprendre à deux fois avant de réussir à piquer correctement. Mais une fois la chose faite, il passa au cheval suivant, en suivant le même manège que les précédents. Au fil des box, d'autres cavaliers entrèrent dans l'élevage et lui furent présenté : Neyla, Izikel, Kwaïgon, et enfin Liam, le second éleveur. Une fois le carnet du dernier cheval rempli, le jeune homme se tourna vers ses spectateurs.
« Euh... Qui est responsable du coup ? » « Moi. » « Ok, tous vont bien, se serait bien qu'Invictus voit un dentiste il a besoin d'un petit limage. Pas de travail pour le reste de la journée, sortie au paddock mais dans un petit espace pour qu'ils ne fassent pas trop les fous. » « Ok c'est noté ! »
Il se sourirent et Siobhan se tourna finalement vers Liam.
« On passe à votre élevage ? » « Allons-y ! »
Ils partirent donc tous les deux vers l'élevage de Liam, les autres cavaliers s'éparpillant doucement. Lou avait un cheval de mission à charge et les cavaliers allèrent donc vers cette écurie, laissant Ale et Neyla chez Louna pour sortir les chevaux et vaquer aux occupations classique d'un élevage. Il se débrouillerait donc avec Liam pour vacciner ses chevaux... Le silence s'installa doucement entre eux, mais finalement, Liam le brisa, avec calme et un certain professionnalisme.
« Est-ce que... Est-ce qu'on peut se tutoyer ? » « Euhm... Oui, bien sûr. Je n'y vois pas d'inconvénient. » « Super ! Je te propose de commencer par Call, c'est mon plus terrible. » « D'accord. Je te fais confiance. »
Les deux allées n'étaient pas très loin l'une de l'autre et dès qu'ils entrèrent, Call fit mine d'attaquer le vétérinaire. Clairement, il n'était pas le bienvenue pour l'étalon. Mais Siobhan ne se laissa pas impressionner. Il installa ses affaires, comme dans l'élevage de Louna et prépara sa première dose. Pendant ce temps là, Liam s'occupait de son cheval. En effet, la première injection de l'élevage ne fut pas de tout repos et le vétérinaire failli bien se faire mordre. Mais il réussi son travail. Une fois chose faite, les deux hommes soufflèrent un peu.
« Une bonne chose de faite ! Qui ensuite ? » « Great Cashemire ? » « Aller. Tu dois déjà le connaître en plus non ? »
Le vétérinaire fronça les sourcils.
« Non... Pourquoi ? »
Cette fois c'est Liam qui fronça les sourcils en tenant le bai par le montant de son licol.
« Parce que c'est le cheval de Lou... Je pensais qu'elle te l'avais montré... » « Non... En fait c'est la première fois que je viens dans vos élevages. Je n'ai pas mit les pieds dans ces parties là du Haras depuis mon arrivée au début du trimestre. » « Tu es resté au centre de soin ? » « Oui. Je m'occupais des chevaux externes, ceux des missions, qui avaient besoin de soins et aussi de l'arrivage de poney. »
Un léger silence s'installa, durant lequel Liam le détailla. Il devait sans doute se demander ce qu'il faisait vraiment là. Le vétérinaire sourit doucement et sorti du box, enlevant ses gants dans le même temps et jetant l'aiguille dans le seau d'un geste mécanique.
« Et tu comptes rester au Haras ? »
Siobhan lui lança un regard interrogateur avant de sourire.
« Oui. J'aime bien cet endroit. Je compte y rester autant que je le peux. Pourquoi ? »
L'éleveur haussa des épaules en entrant dans le box d'Orcanta. Mais à son sourire, Siobhan comprit qu'il avait quelque chose en tête. Peut-être même ce dont Lou lui avait vaguement parlé... Elle disait souvent que Liam était tout le temps à la recherche de nouvelles recrues. Et un vétérinaire tout comme un maréchal seraient les bienvenus. Alors si en plus les personnes en question plaisaient à Liam, il foncerait tête baissée.
« Pour savoir. » « Tu as quelque chose en tête ? » « Peut-être. » « Alors dis le moi. Lou m'a un peu briefé de toute façon. »
Liam sourit en caressant le chanfrein de sa jument palomino.
« Un vétérinaire ne serait pas de trop dans l'équipe. » « Alors pourquoi pas. Mais j'aurais tout de même mes permanences à faire et des apprentis à former. Je ne pourrais pas être H24 avec vous. » « Et ce n'est pas ce que je demande. » « Alors marché conclu. »
Ils se serrèrent la main avant de passé au cheval suivant... Finalement, la journée ne se passait pas si mal que cela... Mais ce qu'il restait à voir, c'est comment réagirait le reste du groupe...
C'était le début d'après midi. Et après quelques jours de pluie, ils avaient droit au retour du beau temps et de la relative chaleur automnale normande. Il faisait donc assez doux pour se permettre de ne pas mettre de veste. De toute façon, dans leur métier, ils étaient souvent actifs et n'avaient que peu besoin d'une veste en plus de leurs pulls à cette période de l'année. Une chose qui ravissait Siobhan, qui avait du mal à supporter le surplus d'épaisseur. L'air était frais mais clair et une légère odeur d'herbe mouillée persistait dans l'air. De quoi ravir les plus "naturel" d'entre eux. Et Sio faisait parti de ceux là. Rien que la météo du jour lui donnait le sourire. Et autre chose lui donnait le sourire également : il avait programmé, avec Izikel et Dean, une séance de travail et de discussion autour de Crazy Boy. Les choses avançaient enfin autour du grand gris et le jeune vétérinaire était assez impatient.
Crazy Boy était un étalon gris, d'origine inconnue, que l'on avait estimé avoir quatre ans, bien que personne n'en soit vraiment certain. Son histoire ne collait pas trop avec son âge, et son état, ce qui faisait douter le vétérinaire de l'exactitude des renseignements qu'il avait eu. Cependant, certaines choses étaient indéniables : il était farouchement opposé à tout contact avec l'être humain, et d'une maigreur à faire pâlir d'effroi n'importe quel cavalier un tant soit peu sensé. Siobhan pour sa part en avait encore des sueurs froides rien que d'y penser... En attendant, l'étalon leur avait été confié, à Dean et lui, pour une mission commune. Il y avait beaucoup de choses à faire sur cet étalon et le premier point était de le remettre en état. Et rien que cela ne serait pas évident. Le gris vivait au pré à l'année, derrière le centre de soin. Il avait un paddock pour lui seul et jusque là, il n'était nourri qu'au foin, pour lui permettre de reprendre de l'état en douceur. Mais il s'avéra très vite que se serait loin d'être suffisant. Depuis une semaine maintenant, le vétérinaire l'avait mis en cure de fenugrec, à raison d'une vingtaine de grammes par jour, pour stimuler son appétit et calmer les éventuelles crampes et douleurs gastriques qu'un régime forcé pouvait provoquer. Et il y avait une légère amélioration. Mais cette amélioration, Siobhan ne pouvait la constatée qu'à l'oeil pour l'instant, ce qui n'était pas l'idéal. L'étalon gris ne se laissait approché par personne et il était donc compliqué de poser un diagnostique précis. C'était pour cette raison qu'ils devaient voir Izikel : avoir des conseils sur la marche à suivre avec lui et le comportement qu'ils devraient adopter.
Le jeune homme quitta son poste au centre de soin et se dirigea vers les paddocks. Il avait terminé sa journée de vétérinaire ou du moins, en partie. Les mains glissé dans les poches de son jean, il attendait l'arrivée de Dean et Izikel. Et les deux hommes ne tardèrent pas à arriver, revenant du Manoir principal du Haras. Izikel semblait fatigué, comme souvent en ce moment, et Dean assez égal à lui même. Siobhan attendit qu'ils arrivent à sa hauteur pour leur sourire et les saluer. Il ne connaissait pas encore très bien les membres de l'équipe -mis à part Lou qu'il avait expérimenté assez intimement- mais il appréciait les deux garçons présents. Il avait entendu beaucoup de bien d'Izikel par Lou et les autres et il savait que le jeune homme était en proie à une profonde dépression. Mais il ne lui en parlait pas, ne s'estimant pas être celui à qui l'éthologue se confierait le plus facilement. Dean quand à lui, avait démontré son talent en tant que maréchal à bien des reprises au Haras et il s'était fait une petite place confortable au sein du groupe. Il avait beaucoup été rejeté au départ et finalement, les quelques jours qu'il avait passé avec Izikel avaient grandement amélioré le sentiment des autres à son égard. Désormais, c'était comme s'il était là depuis toujours. Malgré tout, c'est avec Izikel qu'il s'entendait le mieux.
« Salut ! » « Hey ! » « Salut Sio ! »
Ils se serrèrent la main et se dirigèrent lentement vers l'arrière des paddocks, là où était Crazy Boy.
« Alors, il va mieux ? » « Il a reprit un peu d'état mais c'est pas encore ça. » « C'est celui du fond ? » « Ouai... »
L'éthologue avait souvent entendu parler du gris mais il ne l'avait encore jamais vu. Ils s'approchèrent de la barrière et s'accoudèrent pour observer le gris, à l'autre bout du paddock, qui les regardait avec méfiance depuis un moment maintenant.
« Ok... Il devrait être superbe une fois remis en état. » « Oui ! C'est ce qu'on se disait l'autre jour. » « Vous devez faire quoi dessus ? » « Remise en état, suivi véto et maréchal, débourrage et légère mise au travail, dont à l'attelage. » « Sachant qu'il ne se laisse pas approcher du tout, le travail va vous sembler long... » « Oh Oui... »
Ils restèrent un moment silencieux, à regarder le gris, avant que l'éthologue ne propose d'aller au salon du Manoir pour en discuté plus amplement. Ils acceptèrent et se dirigèrent de concert vers le Manoir. Une fois installé près d'une fenêtre, la discussion autour du gris s'entama avec plus de sérieux.
« ... Jusqu'à il y a à peu près une semaine, il n'était qu'au foin et à l'herbe. Depuis une semaine donc, il a un complément pour lui ouvrir l'appétit. D'ici une quinzaine de jours, je pense passé au complément floconné... Pas de granulés, se serait trop difficile à digérer dans un premier temps. On verra plus tard. » « Et il a une pierre à sel mais je pense qu'il n'y touche pas. » « Il a eu aussi des électrolyte dans son eau pour le réhydrater. Il est arrivé ici très sec et déjà c'est un peu mieux depuis une semaine. » « Ok... De toute façon, je vous fait complètement confiance sur la partie soins ! C'est plus votre domaine ça... En tout cas, il va falloir travailler l'approche maintenant. Vous savez un peu comment vous y prendre ou pas du tout ? »
Siobhan et Dean se regardèrent. Ils en avaient déjà un peu discuter et tout deux avaient une approche très différente concernant la marche à suivre. Siobhan invita Dean à se lancer le premier d'un geste de la main.
« On en a un peu parlé et il s'avère qu'on a pas tout à fait la même vision des choses... Mais c'est à cause de notre formation de base, qui n'est pas tout à fait la même... Moi, en débourrage, j'ai été formé à la méthode douce américaine, celle des chuchoteurs. Lui, il est plutôt méthode française quoi... » « Qu'est-ce que t'appelle méthode française ? » « Et bien disons que je serais plus dans l'appétence avec un seau de nourriture, jour après jour... Plus classique en fait. »
L'éthologue sourit doucement et reprit, cherchant un instant les bons mots.
« Il n'y a pas de méthode plus classique ou moins classique. En réalité, il y a une multitude de façon de débourrer un cheval et aucune n'est meilleure ou pire qu'une autre. Tout dépend de la vision que l'on a des choses et du cheval. Monthy Roberts a été tout autant critiqué pour ses méthodes brutes qu'admirer pour ses méthodes plus "douces". Et pourtant c'est le même homme, avec les mêmes convictions dans les deux cas... Personnellement, je suis plus dans l'adaptation. Il y a des choses qui fonctionnent avec certains chevaux, et d'autres pas. Et puis il faut tenir compte de ce que le cheval à vécu avant nous. On n'aura pas la même approche avec un cheval déjà débourrer qu'avec un cheval complètement sauvage comme Crazy Boy. Et c'est aussi ce qui fait la différence entre la méthode américaine et la méthode européenne. Ici, en France ou en Europe, le cheval sauvage n'existe plus. En Amérique, les Mustang sont encore à l'état sauvage et se baladent en immense hardes dans la nature. Forcément, la réaction du poulain d'élevage, habitué à être manipulé depuis toujours, ne sera pas la même que le poulain né en pleine nature et et ne voyant un homme pour la première fois qu'après quelques années de vie libre et sauvage. En conséquence, il a fallu que l'homme adapte son comportement face à ces différences. »
Le jeune homme s'arrêta un instant, pour s'assurer du regard que Dean et Siobhan suivaient, avant de reprendre.
« Avec Crazy Boy, qui a connu la vie sauvage, je pense qu'une méthode type celle des chuchoteurs américains sera plus efficace et vous fera gagner du temps. Mais il va falloir aussi aménager le fond de son paddock pour vous faciliter la tâche, parce qu'il est hors de question de le laisser se balader dans le Haras ou de tenter de l'approcher de force pour l'emmener d'un point A à un point B... » « Monter un corral et un couloir ça peut se faire ça. »
Ils hochèrent de la tête, alors que le vétérinaire inscrivait rapidement tout dans un petit cahier dédié au gris.
« J'y connais pas grand chose là dedans par contre... » « T'en fais pas, on te montrera ! Hein Walig ? »
L'éthologue sourit à Dean et sa joie de vivre évidente.
« Oui, on te montrera. Quand voulez vous commencer le travail ? » « Ça, ça va dépendre de la vitesse à laquelle il se remet en chair. Je ne veux pas commencer quoi que se soit tant qu'il n'a pas reprit du poids. » « Et c'est bien normal ! » « Et il y a aussi un gros travail sur ses pieds apparemment... » « Oui... Mais tant que tu ne peux pas l'approcher... » « Exactement... »
L'attention du maréchal fut attiré au dehors, par la fenêtre, dont il était le seul à pouvoir observer. Le corps d'Izikel se tendit immédiatement et il fronça les sourcils, alerte.
« Qu'est-ce qu'il se passe ? » « Rien... C'est juste Myriam et Kwaïgon qui reviennent... Il a changé de voiture Kwaï ? »
Izikel eut un temps d'arrêt, mais Siobhan ne dit rien, observant les deux hommes avec attention. Il était très peu souvent dans ce genre de confidences. Liam avait dit à l'équipe que Myriam et Kwaïgon s'absentaient quelques jours pour raisons personnelles -un problème de fille de Myriam nécessitant d'aller à Paris- mais rien de plus. Tous avaient accepté cette excuse sans poser de questions et réorganisé leur emploi du temps pour palier à ces absences. Voilà une bonne semaine et demi que les deux cavaliers étaient parti et comme ils n'avaient pas eu d'information sur leur retour, les trois garçons étaient un peu surpris. Izikel répondit à Dean avec un voix blanche, un peu perdu.
« Oui... Il est passé chez Chevrolet... »
Adieu Aston, bonjour Corvette !
« Il a bien fait ! »
La voix claire de Dean et son sourire reconnectèrent Izikel à la réalité.
« Ok. Ce que je vous propose de faire, c'est qu'on se revoit quand Crazy est en meilleur état de forme, pour une première séance. En attendant on va préparer le terrain : Dean et moi on gérera le corral et le couloir et toi Siobhan, tu adoucit l'approche en continuant de le nourrir au plus près, en restant aussi près de lui que possible et aussi souvent que possible. De façon à ce qu'il s'habitue à ta présence. C'est ok pour vous ? » « C'est bon pour moi ! » « Pour moi également ! »
Le vétérinaire sourit et referma son cahier, après y avoir ajouter ses dernières notes.
« Vous faites quoi cet aprem ? » « Liam m'a proposé de monter un de ses chevaux pour partir en trotting. » « Moi je vais remonter Invictus. Il est vraiment dur avec la main... C'est étrange. » « Il faudrait peut-être le montrer à Myriam ? Ou Sio ? Il a peut être mal quelque part... » « Oui... Il faut que je cerne le problème avant de solliciter quelqu'un. »
Dean hocha doucement de la tête et se leva.
« Je dois rejoindre les élevages aussi. On y va ? » « Allons-y ! »
Les trois cavaliers se levèrent et prirent le chemin des élevages. Et malgré la conversation qui allait bon train, Izikel n'était plus avec eux, plongé dans de sombres pensées... Inatteignables pour eux, simples mortels...